Si le changement climatique se manifeste à travers une multiplicité d’aléas (recul du trait de côte, inondations, sécheresses, vagues de chaleur ) un constat s’impose : l’aléa chaleur est le plus documenté et le seul qui touche tous les bâtiments sur l’ensemble du territoire national. La chaleur est devenue l’aléa qui redéfinit le présent, pas seulement le futur, rendant donc l’anticipation indispensable. C’est pourquoi les acteurs réunis ont choisi d’en faire le fil conducteur de leurs réflexions, tout en gardant à l’esprit la nécessité d’une approche territoriale différenciée.
Les trajectoires climatiques établies à l’échelle nationale doivent en effet s’adapter aux spécificités locales. Le recul du trait de côte par exemple concerne des territoires circonscrits, et la chaleur, elle, même si touchant des milliers à des centaines de milliers de bâtiments, ne se vit pas partout pareil.

Le Cerema : caractériser avant d’agir
Face à la volonté des collectivités d’agir rapidement, le Cerema rappelle un principe fondamental : il faut d’abord caractériser les risques avant d’entreprendre toute action. La méthode ABCD, structure cette démarche en deux temps : un diagnostic précis de l’exposition au risque, puis l’élaboration d’une stratégie d’adaptation adaptée (réactive, incrémentale ou transformative) selon les situations.
Cette approche méthodologique permet d’éviter un écueil majeur : confondre les solutions d’urgence, nécessairement transitoires et temporelles lors de situation de crise, avec les actions durables qui transforment structurellement le bâtiment. Ne pas se tromper d’objectifs entre les urgences immédiates et les tendances de fond constitue un enjeu déterminant pour la pérennisation du patrimoine public.
Cédric Lentillon insiste également sur la diversité des leviers d’action : au-delà des solutions techniques, les mesures organisationnelles et les solutions fondées sur la nature doivent être pleinement intégrées dans les stratégies d’adaptation. Ce sujet porte en lui un potentiel de dynamisme économique pour les territoires qui sauront anticiper.

L’Ademe : maîtriser le besoin et rendre le bâti résilient
L’Ademe structure sa démarche autour d’une vision systémique : du besoin vers l’action, de l’action vers la performance. Jusqu’à présent, les politiques publiques se sont principalement concentrées sur les besoins thermiques d’hiver et la réduction des consommations énergétiques. Aujourd’hui, il devient impératif de coupler ces objectifs avec l’adaptation du confort d’été, dans une logique de maîtrise globale du besoin.
Le programme Adapt Bati Confort, développé par l’Ademe, vise précisément à objectiver le risque lié à l’aléa chaleur. Il s’agit de participer à l’entraînement de l’ensemble de la filière et de favoriser une acculturation collective à ces méthodologies. L’accent est mis sur les bâtiments tertiaires, notamment les bureaux fortement climatisés, pour lesquels les données restent encore lacunaires. La mise en œuvre de méthodologies homogènes permet une capitalisation des retours d’expérience et des analyses croisées entre territoires.
Hakim Hamadou défend également le concept de « solutions sans regrets » : des interventions qui apportent un bénéfice immédiat sans hypothéquer les adaptations futures. Les brasseurs d’air, étudiés dans le cadre des projets Brasse 1 et 2, illustrent cette approche. L’Ademe a développé des règles de dimensionnement, une bibliothèque de caractéristiques techniques et prochainement un outil numérique de calepinage permettant aux collectivités notamment d’installer ces équipements de manière optimale selon les dimensions des locaux.
Cette stratégie vise une massification des bonnes pratiques : identifier ce qui fonctionne pour le déployer à grande échelle, tout en évitant l’écueil des solutions miraculeuses qui n’existent pas.

Actee : le défi culturel et organisationnel
L’intervention d’Amaury Fievez apporte un éclairage essentiel : avant d’être technique, le problème de l’adaptation est culturel et organisationnel. Les protections solaires même si elles sont installées, sont quand même très souvent mal utilisées faute de personnes clairement dédiées à ces sujets dans les collectivités. Qui s’occupe de quoi ? Cette question apparemment simple révèle un vide dans l’organisation de l’action publique.
Le projet Racine, développé par Actee, propose une réponse : former des référents capables de comprendre les solutions techniques et d’interagir efficacement avec elles. Cette approche s’inspire du concept de « low tech », qui ne désigne pas seulement la simplicité technique, mais le rapport entre la technique et les personnes. Il faut comprendre comment un dispositif fonctionne pour pouvoir bien l’utiliser.
Le choix d’Actee de se concentrer sur les écoles n’est pas anodin. Ces établissements constituent des lieux symboliques où se transmettent les messages aux générations futures. La plupart des grandes politiques publiques françaises ont placé les écoles au cœur de leurs priorités. Face aux 2000 écoles qui ont dû fermer en juin 2025, l’enjeu sanitaire devient incontournable.
Actee insiste sur une acculturation nécessaire aux potentiels de rafraîchissement passifs. Il ne s’agit pas seulement d’installer des équipements, mais de modifier durablement les pratiques et les représentations. L’adaptation technique ne suffira pas : il faudra également faire évoluer nos modes de vie.

La Banque des Territoires : structurer, accompagner, pérenniser
Via le Programme Edurenov, la Banque des Territoires joue un rôle déterminant dans l’opérationnalisation de ces stratégies d’adaptation. Son action repose sur une conviction : l’enjeu n’est pas seulement de financer, mais de structurer, d’accompagner et de pérenniser chaque euro investi. Au-delà du financement des travaux, elle apporte un appui aux collectivités et un soutien à l’ingénierie de projet, pour éviter les erreurs de dimensionnement et sécuriser les projets face au risque de maladaptation.
La Banque des Territoires organise également des groupes de travail thématiques réunissant les services techniques des collectivités. Ces espaces d’échange permettent de mutualiser les retours d’expérience et d’accompagner les collectivités dans l’élaboration de plans d’actions techniques adaptés à leurs contextes spécifiques.
Nicolas Turcat a rappelé les multiples points de vigilance dans le financement des projets : éviter les solutions d’urgence mal dimensionnées, privilégier des interventions pérennes, anticiper les usages réels des bâtiments… La prévention du risque ne concerne pas seulement les aspects techniques, mais également la soutenabilité financière des projets sur le long terme.
Le guide Promodul, développé en partenariat avec Edurenov, permet de considérer l’intégration du confort d’été dès la conception des programmes de rénovation énergétique. Cette approche globale répond à une question fondamentale : comment identifier un bâti non adapté ? Les normes et les mécanismes de financement actuels restent trop souvent calibrés sur les seules performances hivernales. L’idée centrale est d’intégrer l’adaptation dans la rénovation, pas après.
